Ophélie Jomat enseigne le français depuis vingt ans. Il y a cinq ans, elle a choisi d’axer davantage sa pédagogie sur l’oral, avec le souci de diffuser et de valoriser les productions des élèves. Après un premier essai sur YouTube, elle crée finalement une nouvelle chaîne, dédiée au podcast littéraire, sur une plateforme sécurisée proposée par le rectorat. Les élèves y présentent des restitutions de lectures cursives et leurs productions originales telles que des fictions radiophoniques. Et c’est pour Ophélie l’occasion de mener un travail plus approfondi sur l'oral et de donner le goût de la lecture et de l’écriture grâce un formidable outil.


La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée et réalisée par : Fanny Milhe Poutingon

Grâce à l'appui technique de : Myriam Naciri

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Myriam Naciri

Secrétariat de rédaction : Aurélien Brault

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2023


Transcription :

Je suis Ophélie Jomat, professeure de français au collège des Acacias au Havre [76] et également membre du pôle de compétences numériques lettres en Normandie.

Il y a quelques années, j'ai décidé de travailler sur l'oral parce que c'est une des compétences du socle commun qu'on nous demande de travailler avec les élèves. Et, également, je me suis aperçue, en tant qu'enseignante, que c'était une défaillance dans mon enseignement. Je me suis posée la question : « Comment les entraîner sur une prise de parole à destination d'un public ? » Et il m'est venu l'idée de créer une chaîne BookTube sur YouTube en 2017. Je m'étais dit que ça pouvait motiver les élèves. Et c'est vrai que ça a été une bonne réussite sur différents types de projets en 6e-5e. Après, je me suis interrogée – parce que c'est vrai qu'en grandissant, parfois, certains élèves revenaient me voir, par exemple en 3e, [car] leur image projetée sur Internet leur posait problème. Donc j'ai plutôt migré après vers une chaîne académique qui s'appelle Pod et qui m'a semblé plus intéressante. C'est une plateforme de diffusion numérique qui est issue d'un travail de l'académie de Normandie qui respecte le RGPD [règlement général sur la protection des données] et un autre de ses intérêts est qu'elle est intégrable sur l’ENT [espace numérique de travail], et donc très facilement diffusable dans des articles à destination des familles.

Ensuite, à l'intérieur de la chaîne Pod, j'ai créé ma chaîne que j'ai appelée « Pod Acacias lettres » qui me permet de créer des sous-thèmes. Donc beaucoup de restitutions de lectures cursives sur des contes de Charles Perrault en 6e ou les contes des Mille et Une Nuit en 5e, par exemple. Mais aussi un travail que j'ai pu mener une année avec une radio locale, Ouest Track Radio, avec des quatrièmes qui ont créé des fictions radiophoniques.

[Extrait 1 : générique de Pod Acacias lettres, morceau de rap créé par Jouhann, élève ayant participé au projet d’Ophélie Jomat]

« P-o-d Acacias, ouais. J’veux un p, un o et un d. P-o-d Acacias, Pod Acacias, Pod Acacias, Pod Acacias. J’te laisse écouter ton épisode de Pod Acacias, bien détaillé, abonne-toi. »

[Fin de l’extrait]

On a quand même certains élèves qui sont effacés et qui se révèlent dans les podcasts. J'ai découvert une élève en 5e, par exemple, qui avait une voix parfaite pour la radio et je ne m'en étais pas forcément rendu compte en classe où elle participait assez peu. C'est aussi un outil qui permet quand même la valorisation de leurs travaux sur l’ENT à destination des familles mais aussi une valorisation – je le reconnais – de mon travail auquel ça donne aussi une visibilité sur Internet.

C’est un projet que j'ai aussi trouvé fédérateur. Par exemple, quand j'ai créé la chaîne Pod Acacias, il y avait un élève qui était très en retrait et qui s'interrogeait beaucoup sur son orientation en 3e . Il s'est investi à fond et m'a créé un jingle pour la chaîne que je trouve super. Et j'ai découvert que c’était un élève passionné par la musique et qui était très fort en montage. Ça l'a valorisé aux yeux de la classe.

Un autre bénéfice du podcast, notamment l'année où j'avais fait travailler les élèves de 4e sur la création d'une fiction radiophonique sur le thème de la nouvelle fantastique, c'est qu'on peut morceler le travail entre les différents élèves et, du coup, selon leur niveau, ils peuvent se trouver une tâche où ils vont être valorisés. J'avais un groupe comme ça où il y avait trois garçons en difficulté et il y en avait deux, Moussa et Yanis, qui s'étaient mis sur les bruitages – exclusivement sur les bruitages mais il y avait une ingénieure du son qui travaillait avec nous et qui leur avait expliqué que c'était déjà un travail énorme. On était allés dans la forêt, à côté du collège, faire des prises de son. Et un autre, qui était vraiment rétif au travail scolaire, avait ramené lors d'une séance de préparation l'ordinateur de sa mère parce qu'on manquait d'ordinateurs au CDI pour travailler sur le montage sur Audacity. Il avait pré-installé le logiciel sur l'ordinateur de sa mère pour travailler tranquillement sur son ordinateur.

[Extrait 2 : extrait d’une fiction radiophonique de la chaîne Pod Acacias lettres, En pleine nuit, par Mathis, Moussa, Ayla et Yassine]

« [Introduction de la fiction par l’un des élèves] Je m'appelle Noah Perret et j’ai 22 ans. Je fais des études pour devenir médecin. J'habite au Havre et près de chez moi se trouve une forêt. Mon histoire s'est déroulée il y a deux ans de cela. Je ne m'en suis toujours pas remis. C'était un soir d'été. Sacha et moi, nous sommes allés promener mon chien dans la forêt.

[Les élèves jouent les personnages de la fiction]

ÉLÈVE 1 : Tu trouves pas qu'il y a du brouillard ce soir ? [Aboiement d’un chien]

ÉLÈVE 2 : Ouais, c'est la pleine lune, c'est étrange. Tu trouves pas que Rex il est bizarre un peu ?

ÉLÈVE 1 : Oui, il me semble étrange. [Aboiements de Rex]

ÉLÈVE 2 : Et si on jouait avec lui ?

ÉLÈVE 1 : Vas-y, bonne idée… [Aboiements de Rex] Il change pas d'attitude.

ÉLÈVE 2 : Ouais, je vois bien, je crois qu'il s'est échappé.

ÉLÈVE 1 : Rex, où es-tu ? Rex ? Il faut rentrer maintenant. Allez Rex ! [Son lointain d’un hurlement de loup] »

[Fin de l’extrait]

Pour les accompagner dans leur travail en amont, en classe, souvent en petits groupes, plutôt en AP [accompagnement personnalisé], je lance toute la méthodologie et je leur donne une espèce de plan que je veux qu'ils suivent a minima. Ensuite, je leur donne pas mal de conseils techniques et méthodologiques, notamment sur la prise de son. Je leur montre par exemple des petits micros-cravates que je peux leur prêter ou qu'ils peuvent acquérir, parce que ça m'est déjà arrivé dans les écueils, chaque année, que j'ai un ou deux enregistrements où le son est vraiment trop faible. Donc je ne peux pas exploiter leurs enregistrements. Je dois les accompagner parfois aussi au niveau de l'envoi du travail final parce que souvent les élèves s'enregistrent sur leur téléphone et, après, l'enregistrement est sur le téléphone mais comment est-ce qu'on le donne ensuite aux professeurs ? Certains croient savoir utiliser leur téléphone et pas si bien que ça en réalité. Et j'essaye aussi d'insister sur le fait qu'ils doivent utiliser des images et des musiques libres de droits, s’ils en insèrent dans leurs podcasts évidemment.

[Extrait 3 : Ophélie Jomat donne des consignes à ses élèves pour la réalisation des podcasts]

« ÉLÈVE 1 : Pas de passé simple ou vous ferez plein d'horribles fautes.

OPHÉLIE JOMAT : Oui. Stop ! C'est très important de parler bien fort – on va en parler tout à l'heure avec éventuellement l'utilisation d'un petit micro-cravate – et d'articuler. On ne parle pas trop vite, on articule bien, bien fort. Ça, c'est primordial. Dans un podcast, si la prise de son n'est pas bonne, on n'a pas envie de le poursuivre. Tu voulais dire quelque chose Younès ?

YOUNÈS : Non, c’est pour pendre la suite.

OPHÉLIE JOMAT : C’est pour prendre la suite. On t’écoute !

YOUNÈS : Ne recopiez pas des propos qui ne sont pas personnels. Vous avez trouvé un résumé qui vous paraît bien formulé mais il n'est pas de vous ? Évitez de le reprendre. Dites-le avec vos mots.

OPHÉLIE JOMAT : Oui, ça, ça serait un piège. Déjà, c'est malhonnête, ça s'appelle du plagiat de recopier un texte qui n'est pas de soi. Et puis il faut votre résumé à vous, avec vos mots à vous. »

[Fin de l’extrait]

L'intérêt de la diffusion d'un podcast littéraire, déjà au sein du collège, c'est aussi de créer une émulation entre les classes et les élèves. Parce que c'est vrai que quand je leur présente la chaîne, je leur dis que l'intérêt, après, si c'est réussi et que j'ai leur autorisation et celle de leur famille, [est que] ça va être diffusé. Mais je peux le diffuser, par exemple à tous les cinquièmes, à tous les élèves du collège. Et ils aiment bien quand leurs camarades leur font un retour : « Ah je t’ai entendu sur Pod Acacias, c'était pas mal, ça m'a donné envie de lire le livre. » Donc ça, c'est vrai que c'est aussi une valorisation de leur travail auprès des pairs et le but c'est aussi qu'ils incitent les autres à lire. Bon, ça marche quelquefois, on a des petits retours comme ceux-là.

Il y a aussi [une poursuite du travail] d'une année sur l'autre. Une année, il y avait une collègue, qui était TZR [titulaire sur zone de remplacement] et qui a passé un an aux Acacias, et les élèves qu'elle avait en 5e lui ont dit : « L'année dernière, avec Madame Jomat, on avait fait un podcast, on aimerait bien [recommencer]. » Et du coup ça lui a donné l'idée. Et, à leur tour, ils ont créé des podcasts avec cette collègue qui a participé au projet. Ça fait 22 ans que j'enseigne et, justement, ce sont des projets comme ceux-là, comme par exemple la création d'une chaîne de podcasts ou d'autres projets que je peux mener par ailleurs – numériques ou non –, qui me motivent en général et qui entraînent mes élèves. Je crois beaucoup à la pédagogie de projet et c'est vrai que quand on voit tout simplement le sourire des élèves ou le plaisir qu'ils ont dans la créativité, ça donne envie de continuer à enseigner tout simplement.