Enseignante en arts plastiques dans un collège et artiste plasticienne, Héloïse Poli s’intéresse à la manière de transmettre la culture artistique aux élèves. Partant du principe que l’art est accessible à tous et que l'on peut former le regard de multiples manières, Héloïse et Marlène Diard, enseignante et artiste plasticienne également, se sont emparées du réseau social TikTok pendant le confinement pour offrir aux élèves une expérience sensible différente. Avec humour, elles ont produit une série de vidéos qui revisitent les œuvres et les courants artistiques, et ont enregistré un joli succès viral qui fait dire aux élèves d'Héloïse que leur prof est désormais une « influenceuse ». Dans cet épisode, elle raconte comment cette expérimentation numérique a enrichi son approche de l'enseignement artistique et sa relation avec les élèves.


La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée par : Stéphanie Béjian et Luc Taramini

Réalisée par : Hervé Turri

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Laurent Gaillard

Secrétariat de rédaction : Anne-Sophie Carpentier

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2022


Transcription :

Je suis Héloïse Poli. D’abord artiste plasticienne et ensuite professeure d’arts plastiques, notamment en collège.

J’ai entrepris des études pour faire de l’art tout simplement, donc les Beaux-Arts, en Martinique notamment. Spécialisée en graphisme et en photographie. Et puis, après ces études aux Beaux-Arts, je suis devenue artiste. J’ai fait des expositions, jusqu’à rencontrer des élèves : c’étaient des quatrièmes. Et je me suis découverte à présenter le travail d’autres artistes, à leur poser des questions, à voir leurs réactions, à mettre en place un dialogue avec des élèves de 14 ans. J’ai adoré cet échange avec ces élèves, et je me suis dit : « Oui, je vais passer le concours de professeur d’arts plastiques à Aix-en-Provence. »

[Extrait audio de la vidéo L’histoire de l’art : apprendre en se marrant]

« MARLÈNE DIARD : Si nous parlions un peu d’histoire de l’art.

HÉLOÏSE POLI : Ouh, ça fait un peu pompeux de parler ‟d’histoire de l’art”. »

[Fin de l’extrait]

Après être devenue prof d’arts plastiques dans l’Éducation nationale, j’ai rencontré une autre artiste. Elle est professeure aussi, mais dans le privé, en tant que professeure indépendante. On a toujours eu à cœur ce besoin de transmettre pour tous. [Le but], c’était de dire à tout le monde : les œuvres d’art, c’est accessible à tous, vous pouvez tous ressentir quelque chose devant une œuvre d’art, vous êtes tous légitimes, vous n’êtes pas obligés d’avoir un passé d’histoire de l’art énorme, un bac+5, etc. C’était vraiment une notion très forte qui vibrait dans notre travail plastique à toutes les deux. Et finalement, cette notion, on l’a retrouvée avec nos élèves : le besoin de diffuser l’art, de leur faire comprendre qu’ils étaient autant légitimes que n’importe qui pour le comprendre, pour l’aborder, pour le débattre, etc.

En fait, ce qui m’amène à la vidéo, c’est que je l’utilisais comme collectionneuse de vidéos dans mes cours, pour faire découvrir aux élèves un autre type de vidéo sur internet, sur YouTube. Là, on l’a vraiment utilisée comme médium pour faire passer cette parole qu’on ne pouvait plus forcément faire passer à cause du confinement. On s’est dit : pourquoi on n’irait pas diffuser encore plus cette parole chez les jeunes, qui se retrouvent de plus en plus sur les réseaux sociaux, ou en tout cas sur leur téléphone, à cause de tous ces confinements ? [Pourquoi on n’irait pas] leur diffuser cette parole sur l’art : « Allez-y, n’ayez pas peur, plongez-vous dans l’art, c’est important. D’ailleurs, vous avez fait des petits challenges pendant les confinements, vous avez découvert des œuvres d’art, etc. » Et c’est là qu’on s’est dit : on va discuter d’histoire de l’art, de mouvements artistiques, d’anecdotes, de manière très très courte sur Internet.

[Extrait audio de la vidéo Les petites analyses : la Grande Vague]

« MARLÈNE DIARD : Parlons aujourd’hui d’une œuvre japonaise majeure. Il est temps de sortir un peu de notre zone de confort, vous ne pensez pas ?

HÉLOÏSE POLI : Voici La Grande Vague près de la côte de Kanagawa, une estampe, ou "xylographie" si on veut utiliser des mots un peu compliqués, qui a marqué la culture nippone, mais aussi mondiale. »

[Fin de l’extrait]

Cette formule, je la vois évoluer dans le sens où ce qui est sur les réseaux sociaux reste sur les réseaux sociaux. Ça, c’est quelque chose que je mets de côté, entre guillemets, qui est dans sa propre bulle. Mais je pourrais récupérer certains formats – dont je suis propriétaire parce que c’est nous qui les montons, etc. – et les réutiliser, pourquoi pas, en cours, dans un travail artistique où les élèves auraient pratiqué, par exemple… où on découvrirait une œuvre d’art – une « référence », on appelle ça en arts plastiques. Et il y aurait plusieurs groupes, comme des petites équipes, qui essaieraient de prendre le maximum d’informations dans la vidéo et, pourquoi pas, de les mettre en commun après, pour essayer de comprendre ce qui a été dit dans la vidéo sur le mouvement artistique, par rapport à l’œuvre d’art qu’on a vu juste avant, ce que ça peut vouloir dire. [On pourrait] faire des allers-retours comme ça, comme un petit jeu, un challenge. Ça c’est une première partie [du travail possible], sur les références artistiques.

En 3e, pour l’oral du brevet, on peut utiliser des œuvres d’art, des mouvements artistiques pour qu’ils puissent créer leur oral. Et là, pourquoi pas faire une séance vraiment sur la création de vidéo... et un choix libre dans l’histoire de l’art, une œuvre d’art, une anecdote, c’est eux qui décident. Et [on peut] les aider, en collaboration avec le professeur de français, en interdisciplinarité, à créer une synthèse des informations qu’ils ont récoltées, à voir comment ils se mettent en scène et donc à créer des petites capsules vidéo sur chaque thème qu’ils ont décidé de traiter.

De la 6e à la 3e, ils ont tous essayé de faire une vidéo TikTok ou ils l’ont fait déjà. Ça peut être un avantage dans le sens où ils l’utilisent déjà. Ils savent comment ça fonctionne. Ils ont tous testé de monter, [d’utiliser] des filtres, de s’amuser, de mettre du son dessus. Ils ont tous essayé.

D’une certaine manière, ils ne me voient plus comme un professeur basique, comme un prof robot. Je ne suis pas le prof qui n’a pas de vie en dehors. Je suis devenue un peu autre chose. J’ai touché un terrain qui leur est très familier : ces réseaux et surtout TikTok, qui est très très jeune comme réseau social. Et là, je ne sais pas, il y a quelque chose où… il y a quelque chose qui s’est produit, dans le sens où les élèves m’ont vraiment vue sous un autre angle. J’étais vraiment rentrée dans un terrain qui était à eux, un terrain de jeu qui était à eux, et ils ne pensaient pas que ça aurait été possible qu’un professeur puisse rentrer dans ce genre de terrain, et surtout que ça fonctionne.

J’ai un peu changé l’image du professeur, j’ai des élèves qui venaient me voir en disant : « Madame, ça y est, vous êtes influenceuse, vous avez percé. » Et les élèves derrière, qui disaient : « Ah bon ? » « Mais oui, sur TikTok, elle a plein d’abonnés, vous n’avez pas vu ? » [rires] Donc [j’étais] un petit peu secouée, moi, en me disant : « Mais qu’est-ce que je fais ? Est-ce que je n’ai pas fait de bêtises ? » Eh bien non, je n’ai pas fait de bêtises parce que, quand je les ai croisés, ces élèves, et qu’ils m’en ont parlé, ils étaient super fiers. Et surtout, ils s’intéressaient à ce que je disais dans ces vidéos. Ils s’intéressaient, s’en rappelaient, rigolaient, me disaient : « Oh, ça, j’ai beaucoup rigolé, madame » « La banane scotchée, je n’avais pas compris », etc.

[Extrait audio de la vidéo L’histoire de l’art : apprendre en se marrant]

« MARLÈNE DIARD : Mais nous sommes ici pour combler ce fossé que beaucoup se sont acharnés à creuser entre vous et l’art.

HÉLOÏSE POLI : Et c’est bien dommage parce que l’art n’est pas qu’un truc poussiéreux et barbant. »

[Fin de l’extrait]

Hier soir, j’ai tenté avec ma cocréatrice de faire un live sur TikTok. On s’est mises en live pendant quarante-cinq minutes, et on a parlé d’un thème : c’était Van Gogh. Et le premier commentaire que je trouve sur le live – parce que les gens peuvent réagir en direct –, c’est : « La dame à gauche, elle ressemble énormément à mon ancienne prof d’arts plastiques de 6e. » Je lui dis : « Écoute, bonjour. C’est certainement moi. Sauf si tu étais en 6e il y a dix ans, ce n’est pas moi, mais si tu étais en 6e il y a trois ans, c’est possible. » « Oh, mais c’est madame Poli. Je suis si fier. Je vous aime, madame Poli ! » [rires]