Un épisode enregistré en direct du 95e congrès de l’Ageem intitulé « Vive le temps de l’école maternelle ».

Les invitées se succèdent pour interroger les spécificités du temps de l’école maternelle. Brigitte Munch, psychologue et psychothérapeute, Sonia Sautet-Cournil et Charlène Schiltz, enseignantes en maternelle, travaillent sur l’importance de vivre pleinement le temps dans ses dimensions humaines. Véronique Boiron, chercheuse en épistémologie et didactique des disciplines, montre que, avec la littérature jeunesse, le temps des histoires est une histoire de temps. Cécile Grasset et Hélène Zavattin, enseignantes en maternelle, nourrissent leurs projets pédagogiques par les valeurs du temps long, qui fait grandir et devenir un citoyen éclairé. 


La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée et animée par : Hélène Audard et Régis Forgione

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance 

Enregistrement et mixage : Simon Gattegno

Secrétariat de rédaction : Nathalie Bidart

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2022


Transcription :

RÉGIS FORGIONE : Bonjour et merci de nous rejoindre pour cet épisode « Parlons pratiques ! » en direct. Nous sommes Hélène Audard et Régis Forgione, en direct du 95ᵉ congrès de l’Ageem qui nous accueille à Boulazac, à quelques encablures de Périgueux.

HÉLÈNE AUDARD : L’Association générale des enseignants des écoles et classes maternelles publiques, une vénérable organisation centenaire. Ce n’est pas rien. Et qui, cette année, propose la thématique « Vive le temps de l’école maternelle ».

RF : Ça tombe plutôt bien car tout le mois de juillet, Extra classe va prendre le temps de s’intéresser à la maternelle, avec des épisodes des « Énergies scolaires » et ce « Parlons pratiques ! ». Pour cet épisode particulier, en direct du congrès de l’Ageem, nous nous penchons sur le temps de et le temps à l’école maternelle.

HA : Le temps dans toutes ses dimensions : celui vécu par les enfants, le temps social de l’école et celui que les jeunes élèves de maternelle vont apprendre à construire grâce au langage, mais aussi aux récits ou encore à l’observation de la nature.

RF : Plusieurs invitées vont se relayer au micro. Pour ceux qui sont sur le direct, vous les voyez déjà à notre micro. Pour cette table ouverte, nous allons parler de ce sujet.

HA : Nous allons commencer par oser prendre le temps du bien-être avec vous, Brigitte Munch. Bonjour.

BRIGITTE MUNCH : Bonjour.

HA : Alors, vous êtes professeure de philosophie, psychologue, psychothérapeute en haptonomie, vous êtes spécialiste des questions relatives au développement affectif et membre du conseil scientifique de l’Ageem. Alors, quand on parle du temps, on parle de plusieurs choses. Comment vous définiriez ces différentes dimensions du temps ?

BM : Eh bien, il y a un temps objectif que nous connaissons tous, qui est celui dans lequel nous pouvons nous rencontrer, qui est le temps de la matière. C’est-à-dire le temps que nous avons l’habitude de scander en secondes, en minutes, en heures, etc., qui nous permet de nous retrouver mais qui n’est pas le temps de la conscience.

À l’intérieur de nous, nous vivons dans un autre temps, qui est le temps de nos impressions. Le temps peut nous paraître extraordinairement long quand on attend quelqu’un qu’on aime et extraordinairement court quand on a rejoint cette personne. C’est un temps qui est défini par nos vécus affectifs.

Et puis, il y a un troisième temps et c’est celui-là qui nous intéresse le plus ici, parce qu’il est souvent méconnu et oublié. C’est le temps de la rencontre. Ce sont les moments suspendus de la vie qui laissent des traces inaltérables en nous et qui sont liés à un moment de communion, de compréhension mutuelle, très fort avec un autre être, quelquefois même avec un paysage ou avec une œuvre d’art, etc. Ces moments laissent des traces dans une autre forme de mémoire, qu’on appelle une mémoire affective, qui est plus de l’ordre du souvenir et qui détermine notre manière de vivre.

Donc, si on ne voit pas dans quel type de temps est un enfant, s’il est dans ce type de temps intérieur et qu’on ne le laisse pas vivre ce moment-là, c’est une forme de violence éducative. Et si, à l’inverse, on respecte ce temps intérieur, ce temps de la rencontre, on crée avec lui des liens extraordinaires.

RF : Sonia Sautet-Cournil, bonjour.

SONIA SAUTET-COURNIL : Bonjour.

RF : Alors, si je ne dis pas de bêtises, vous êtes enseignante à l’école maternelle du Lardin-Saint-Lazare en Dordogne.

SSC : C’est bien cela.

RF : Et vous avez des toutes petites sections et des petites sections.

SSC : C’est bien cela.

RF : Et donc, vous travaillez cette année autour d’un projet sur l’accueil. Je vais faire mon naïf et demander ce que vous entendez par « accueil »… C’est ce fameux temps, le matin, où on accueille les élèves ?

SSC : Alors, c’est ce qu’on peut penser quand on est enseignant. Et on se rend compte que, accueillir un enfant… On l’accueille toute la journée, du matin à son départ, le soir. Ce sont toutes les attentions qu’on va lui donner. C’est accueillir un moment difficile pour lui. L’accueil, c’est l’échange, c’est du temps partagé, c’est un échange qui peut être individualisé… « Prendre le temps » de passer du temps avec nos élèves.

HA : Vous avez travaillé cette année toutes les deux, avec d’autres enseignantes aussi, sur un projet autour de l’accueil. Est-ce que vous pouvez nous en dire quelques mots ? Brigitte Munch, par rapport aux objectifs ? Qu’est-ce que vous souhaitiez faire passer, faire travailler ?

BM : Eh bien, comme le thème du congrès est le temps, cette équipe m’a sollicitée, justement, pour que nous travaillions sur une manière différente de concevoir le temps de la classe. Il y a les injonctions de programmes, d’emplois du temps, etc. Et puis, à l’intérieur de ça, ben justement, il y a la rencontre entre l’enseignant et chaque enfant. Et les très jeunes enfants ont besoin de se sentir accueillis et reconnus par l’adulte, de manière très régulière, tout au long de l’école maternelle. Sinon, ils sont pris dans une masse et ils sont rendus anonymes et, souvent, ils n’ont pas la sécurité affective qui leur permet de rester ouverts, curieux et de participer. Voilà.

RF : Sonia, on sait le foisonnement d’une classe de maternelle pour qui a juste pu observer, même quelques minutes, ce qui peut s’y passer. Et on a l’impression que l’enseignante de maternelle, elle doit être multitâche. Elle doit faire 1 000 choses à la fois et en fait, c’est le cas. Et il y a cette notion de prendre le temps de s’occuper de chacun individuellement. Comment on rend les choses « compatibles », quelque part ?

SSC : C’est justement cette mission qui est importante pour nous, les enseignants : apprendre à ne pas multiplier les tâches. Quand on est avec un enfant, on doit lui accorder notre attention entière et complète. On ne peut pas répondre à un adulte qui se trouve à côté tout en faisant travailler un groupe d’enfants. L’attention doit être portée à chacun, ou à un instant T.

HA : Ça veut dire, Brigitte Munch, organiser aussi le temps de la journée, de la semaine – et peut-être même jusque l’année – pour prendre en compte les besoins des enfants ? C’est une autre organisation du temps ?

BM : Je dirais, c’est plutôt laisser des espaces vacants à l’intérieur de l’organisation du temps. Laisser des espaces de disponibilité qui permettent à l’enfant de se manifester. Trop souvent, on attend de lui qu’il réponde à nos attentes, à nos injonctions pédagogiques. Alors qu’un très jeune enfant a besoin d’exprimer ce que ça lui fait, à lui, de vivre ce qu’on lui propose de vivre, que ce soit peindre, apprendre, dessiner, etc. C’est laisser l’espace pour que l’enfant s’adresse à nous et nous manifeste son extraordinaire créativité. Et une intelligence qui dépasse l’intelligence purement corticale, purement cognitive.

RF : Sonia Sautet-Cournil, quand vous êtes en classe – j’imagine en tout cas –, quand on débute dans le métier… On voit très souvent ces fameuses cases, je pense à ça… On parle d’emploi du temps. Vous savez, on met telle partie de telle heure à telle heure, et il y a des transitions plus ou moins souples. Mais ce sont des cases assez contraintes. J’ai l’impression que c’est antinomique avec votre approche, non ?

SSC : Oui, effectivement, il faut être un peu plus souple sur la notion de temps. Quand un enfant a un besoin à un instant T, il faut lui répondre. Quand un groupe d’enfants nous questionne sur un élément qui est important, il faut lui répondre à ce moment-là. On ne peut pas passer à l’activité prévue initialement, l’activité de mathématiques par exemple.

HA : Qu’est-ce qui se joue particulièrement en maternelle ? Parce que cette approche que vous proposez, finalement, on pourrait l’imaginer à tous les niveaux, pour tous les enseignants. Là, on est axé sur cette période très particulière de la maternelle, sur des âges… D’un âge à l’autre, on peut imaginer que les réactions sont très différentes, l’évolution des enfants est très rapide. Qu’est-ce qui se joue là ?

BM : Moi, je dirais que la spécificité de l’école maternelle, c’est qu’on est avant l’âge de raison. C’est-à-dire que le langage n’est pas encore un langage de dialogue, entre deux subjectivités. Il faut que nous accueillions l’enfant – ce que dit Sonia – dans ce qu’il est en train de vivre, parce qu’il ne peut pas le différer et il ne peut pas encore le mettre au regard de ce que demande l’adulte. Il n’est pas encore capable de se décentrer à ce point. Et ça, aujourd’hui, on demande ce décentrement dès l’âge de 4 ans. Alors qu’on sait très bien, depuis Jean Piaget [psychologue suisse connu pour ses travaux sur les stades du développement de l’enfant et sa théorie sur l’apprentissage] – et toutes les neurosciences le confirment –, que l’enfant n’en est pas capable avant 7 ans. Donc, il s’agit d’accueillir pour pouvoir créer la complicité affective qui va permettre la suite.

RF : Sonia, est-ce que c’est dans cette complicité qui se joue avec les élèves que l’enseignant doit aussi aborder un certain lâcher-prise ? On a l’impression que les structures habituelles sont un peu plus lâches, qu’il faut prendre le temps, justement, de tisser tout ça. Qu’est-ce que ce projet a transformé, pour vous, dans vos pratiques professionnelles ?

SSC : Alors, les pratiques… Quand on échange avec Brigitte Munch, je vous assure que nos pratiques professionnelles changent ! Parce qu’elle fait qu’on s’interroge beaucoup sur ses pratiques et qu’on regarde notre classe avec un autre œil. On prend le temps d’observer la classe, ce que je ne faisais pas quotidiennement, auparavant. Là, je prends le temps de lâcher prise, de lâcher ma pratique professionnelle pour regarder ce qui se passe et pour ajuster, justement, quotidiennement… Être au mieux, au plus près de chaque enfant, au plus près du groupe-classe aussi. Et l’important se trouve là.

HA : Sonia, merci beaucoup.

SSC : Merci à vous.

HA : En fait, on fait une table tournante et on va laisser la place à une nouvelle invitée pour poursuivre sur cette thématique. Brigitte Munch, pendant que notre prochaine invitée s’installe… En fait, vous nous disiez, finalement, que ce qui se jouait là, ça avait un impact sur toute la scolarité ensuite. C’est maintenant que ça se passe, finalement, au moment de la maternelle ?

BM : Oui, tout à fait. Et de ce point de vue-là, la problématique du temps est vraiment importante parce que je crois que l’idée, c’est de pouvoir éventuellement faire ce qu’on appelle habituellement « perdre du temps », qui n’est pas perdu d’ailleurs, pour en gagner. Refuser de prendre en compte la sécurité affective de l’enfant dans la relation avec l’enseignant dès les premières années de l’école, c’est se préparer à des difficultés par la suite, parce que les enfants restent sur cette frustration. Si, au contraire, on répond à ce besoin, l’enfant est apaisé et il va être beaucoup plus ouvert à ce qu’on voudra lui transmettre. Et paradoxalement, plus capable d’accepter les contraintes.

HA : Nous avons parlé, donc, de l’importance de prendre le temps avec les enfants et avec notre prochaine invitée, on va plutôt parler maintenant de prendre le temps avec les parents.

RF : Exactement. On reçoit au micro maintenant Charlène Schiltz. Bonjour !

CHARLÈNE SCHILTZ : Bonjour.

RF : Alors, vous êtes professeure des écoles en toute petite section à l’école maternelle de la Crayère à Épernay [Marne, 51], et vous avez mené un projet – notamment avec Brigitte Munch – pour créer des temps partagés avec les parents. C’est ça ?

CS : C’est ça. Alors, l’année dernière, en fait, on a participé à une recherche-action avec Brigitte Munch, en travaillant sur l’aménagement de l’espace pour le bien-être des tout-petits. Donc, on a fait évoluer l’espace en fonction des besoins et on s’est rendu compte… On avait donc répondu aux besoins cognitifs, aux besoins moteurs, aux besoins sociaux, etc. Mais on s’est dit qu’il manquait quand même quelque chose au niveau des besoins affectifs et on s’est questionné sur le temps des parents. Donc, c’est pour ça que cette année, la recherche s’est plus basée sur le temps des parents.

HA : Alors expliquez-nous un petit peu comment ça s’est déroulé sur l’année. Il y a eu différentes étapes ?

CS : Il y a eu trois temps. Au début de l’année, le premier temps consistait à apprendre à connaître les parents. Donc, pour ça, on a réalisé un questionnaire avec notre éducatrice jeunes enfants et l’enseignante qui était normalement sur le poste, Sandrine Legris-Vitry – qui a participé à la recherche l’année dernière.

On a créé ce questionnaire qu’on a fait passer en entretien individuel [dans un second temps]. Donc, ce n’était pas un questionnaire à proprement parler. Et on a recueilli, en fait, leur vision de l’école, mais aussi leur vécu scolaire à eux, et leurs attentes par rapport à l’école, ce qu’ils voulaient faire dans la classe, etc. Et à partir de ça, toute l’année, on a proposé des interventions avec mon Atsem – qui était partant aussi, parce que c’est très important… Des interventions, donc, des moments en classe, des sorties, un projet imagier qu’on a réalisé avec Clémence Gouache [illustratrice jeunesse et enseignante en arts appliqués], etc.

Et à la fin de l’année, donc, il y a eu ce troisième temps, où on a évalué l’impact de ces interventions sur leur vision de l’école, sur leurs craintes, etc. Et on a vu qu’il y avait un changement par rapport à ces interventions. On a vu qu’au début, j’avais quand même 52 % des parents qui avaient des craintes au niveau scolaire, donc différentes craintes, et à la fin, on s’est retrouvé à 11 %. C’est donc qu’il y a eu un bel impact sur leur vision de l’école.

RF : Et pour le coup, donc, c’est un projet de recherche-action, donc basé sur des données, là où parfois on est plus juste sur du ressenti, on dit : « Là, voilà, je vais transformer ma pratique professionnelle à partir de ça. » Là, il y a des données concrètes. Vous dites : « Bon, c’est des questionnaires, mais on les a vus ensemble. » Voilà, c’est quelque chose de travaillé [sur lequel] vous pouvez vous appuyer pour transformer vos pratiques par la suite ? C’est ça l’idée, aussi ?

CS : C’est ça. En fait, il y avait ces questionnaires de début d’année et de fin d’année, et après chaque intervention, il y avait aussi un petit questionnaire dans lequel on leur demandait ce que ça [leur] avait apporté. Et moi, j’avais aussi un tableau d’observation de l’enfant. Parce que c’est avant tout pour le bien-être des enfants qu’on a fait ça, pour voir un petit peu s’il y avait eu un impact. Par exemple, j’ai une petite qui refusait de faire de la peinture et une fois que sa maman est venue au mois de novembre pour faire de la peinture avec elle, eh ben, hop, elle s’est mise à en faire après, et sur toute l’année. Et donc, on se dit : « Bon, ben, c’est super, quoi ! Dès qu’ils ont confiance en nous parce que le parent est entré dans la classe, ben là, on sait qu’il y a quelque chose de gagné. »

Et donc, j’ai fait des statistiques, justement, pour pouvoir comparer. Et aussi par rapport aux différents moyens de communication qu’on a dans la classe – des petites boîtes de langage, des sacs à histoires, des cahiers de vie, etc. –, pour savoir en fait ce que ça leur avait apporté : est-ce que ça leur a permis de faire partager ça à leur famille ? ou de comprendre ce que leur enfant apprenait ? etc.

Et à partir de là, je vois à quoi sert tel outil. Et à partir de ça, je vais pouvoir aussi modifier chaque outil pour essayer de remonter un petit peu ce que ça leur apporte.

HA : On sait que dans ces problématiques de coéducation, ce n’est pas simple de faire venir les parents, surtout de manière assez régulière. Et il y a aussi un problème d’emploi du temps, tout simplement. Parfois, c’est compliqué pour eux aussi, de s’investir. Donc comment avez-vous travaillé ça ? Parce que vous avez eu des résultats assez spectaculaires. Je crois que vous avez peut-être 75 % des parents qui sont venus à un moment ou à un autre ?

CS : C’est ça. J’ai eu presque 80 % des parents qui sont venus au moins une fois dans l’année. Et en fait, j’ai fait aussi en fonction de leurs horaires de travail. Alors, il y a beaucoup de parents qui ne travaillaient pas, donc, c’était aussi plus facile pour moi. Mais pour ceux qui travaillaient, je sais qu’ils ne travaillaient pas forcément avant 9 h 00, donc, hop, dès 8 h 20, on installait tout avec mon Atsem et on disait aux parents : « Bon ben, là, on fait telle activité à 8 h 20. Même si vous restez 20 minutes, vous restez 20 minutes. Du moment que vous avez partagé un petit temps avec nous, que vous avez un petit peu vu ce qui se passait dans la classe… » Et ça, c’était déjà gagné. Et eux, en plus, ils se sont aussi sentis inclus dans tout ça. Et ça les a aidés aussi à revenir à d’autres moments après, plus tard.

RF : Brigitte Munch, dans vos travaux, vous parlez de qualité de présence. Elle est aussi là, la qualité de présence : avec les parents, autour de l’enfant, et l’enseignant de l’autre côté ?

BM : Oui, oui, c’est un tabouret à trois pieds. Il y a l’enseignant, les enfants et les familles. Si on exclut les familles, c’est insécurisant pour l’enfant. Et vous dites très bien que la présence des parents apporte cette fameuse sécurité affective qui fait que l’enfant adhère beaucoup plus à ce qu’on lui propose. Et ça, ça devrait entrer dans les objectifs de l’école, notamment maternelle, que d’intégrer les familles de plein de manières. Parce que ça, c’est très important. Ça fait tomber la peur de l’école. Nous avons des mémoires de nos propres vécus qui font que beaucoup de parents sont inquiets, pour leurs enfants, quant à la réussite. Et ce type d’initiative désamorce ces peurs.

RF : On est vraiment là – si je devais résumer un peu cette partie, dans ce qu’on disait tout à l’heure… C’est, entre guillemets : « perdre du temps » au petit âge pour en gagner sur toute la scolarité, et même au-delà de la scolarité, sur la qualité personnelle des élèves et même des personnes qu’il y a derrière ces élèves.

BM : Voilà. Moi, je dirais : « prendre le temps » de résoudre les conflits ou les difficultés au moment où elles se présentent est un gain immense pour la suite.

HA : Merci beaucoup à toutes les deux.

CS : Merci.

BM : Merci à vous.

HA : On va passer à un deuxième temps de cette émission autour du temps : on peut le construire dans les apprentissages, avec notamment la littérature, les récits, les histoires et pour cela, nous accueillons Véronique Boiron. On lui laisse le temps de s’installer. Bonjour Véronique.

VÉRONIQUE BOIRON : Bonjour.

HA : Alors, vous êtes formatrice à l’Inspé de l’académie de Bordeaux, chercheuse au sein du laboratoire Lab E3D [Épistémologie et didactiques des disciplines] et membre du conseil scientifique de l’Ageem.

VB : Exactement.

RF : Alors, une première question pour vous, Véronique. On parle, naïvement peut-être, de « construire le temps ». Est-ce que ça signifie quelque chose ?

VB : Oui, ça signifie quelque chose. Et en même temps, ce n’est pas tout à fait exact. C’est-à-dire que l’enfant a des relations avec le temps, sans en avoir la conscience, parce qu’il vit des expériences. C’est-à-dire qu’il vit l’expérience d’attendre : quand il est bébé, il attend qu’on vienne le chercher dans son berceau, qu’on lui donne à manger… Et puis, il va avoir des expériences plus ou moins heureuses d’attente, quand il rentre à l’école maternelle. C’est-à-dire, il va devoir attendre son tour, attendre pour parler, attendre pour jouer alors qu’il en meurt d’envie, mais on lui demande d’attendre un peu parce qu’il a des choses à faire avant… Et donc, c’est à travers ces expériences qu’il ressent des choses agréables, plus ou moins agréables, plus ou moins désagréables. Et en fait, en parlant avec lui de ça et en lui lisant des albums, par exemple, on va lui permettre de mettre en mots ce qu’il ressent, ses sensations, ses ressentis. Et surtout, il va comprendre que c’est partagé. C’est-à-dire que les autres enfants connaissent aussi l’ennui, savent aussi ce que c’est d’attendre, savent aussi ce que c’est que grandir, même si ce n’est pas la même chose pour un petit enfant de 3 ans et un enfant qui a 5 ou 6 ans, par exemple.

HA : Donc, ça se construit par l’expérience personnelle et aussi par le partage avec les autres.

VB : Oui.

HA : Ça se construit aussi par ce que les enseignants vont mettre en place et donc, vous avez travaillé sur une recherche-action cette année, je crois ? Alors, vous pourriez peut-être nous en dire quelques mots ?

VB : Oui. Alors j’ai travaillé avec trois collègues dans trois écoles maternelles différentes, en milieu très défavorisé, et on a beaucoup réfléchi à ce qui était en fait des évidences de l’école maternelle. C’est-à-dire, heu… Alors, je parle de mon domaine et de cette recherche-action en particulier : par exemple, des lectures d’albums qui sont presque toujours collectives. Et on a un peu interrogé cette évidence en se disant : « Finalement, dans ces lectures collectives, qui a le temps de comprendre ? qui a le temps de parler ? qui a le temps de s’émerveiller ? » Et donc, on a réfléchi à mettre en place des lectures avec des tout petits groupes et les collègues, au fil de l’année, ont entendu s’exprimer des enfants qu’ils n’entendaient jamais parler. Et puis, ils ont aussi proposé des relectures régulières d’une même histoire. Parce qu’en fait, ce qui est un problème, c’est qu’en proposant toujours des choses nouvelles, en « zappant » [continuellement], pour le dire comme ça, eh bien, les enfants n’ont jamais le temps, justement, de s’approprier, de comprendre qu’il y a plusieurs compréhensions, qu’il y a des moments où l’on ressent quelque chose de très fort pour un personnage et à une relecture, trois ou quatre jours après, eh bien, on s’attache plutôt à un autre personnage. Donc, on a beaucoup interrogé cette course en avant perpétuelle dans de la nouveauté, et on a plutôt installé des moments où on prend le temps de réécouter, de réentendre, parce qu’on n’a pas non plus la même attention tout le temps. Donc, un enfant aussi a le droit, à un moment, d’avoir décroché. Et puis, si on lui propose une relecture, il peut à nouveau l’investir. Voilà.

HA : On sait que c’est un grand plaisir des enfants qu’on leur « re-raconte » les histoires des dizaines et des dizaines de fois.

VB : Oui, exactement.

HA : Donc, il y a aussi quelque chose dans le fait qu’ils construisent… Enfin, qu’ils connaissent l’histoire et qu’ils anticipent…

VB : Exactement.

HA : … et donc, dites-nous un petit peu ce qui se joue dans ces relectures successives ?

VB : Alors, on n’entend pas du tout la même chose et on ne comprend pas du tout la même chose quand on connaît la chute, par exemple. C’est-à-dire que si on sait que ça se passe bien… Je prends l’exemple de l’album Bébés chouettes [Kaléidoscope, 2015] : à la première lecture, tant que les enfants ne savent pas que la maman chouette va revenir auprès de ses petits, eh bien, ils sont dans une forme d’inquiétude. Et une fois qu’ils savent qu’elle revient, à la relecture, ils vont même se moquer un peu des personnages en disant : « Ah non, mais ce sont des bébés, ils pleurent, ils ont peur. » En gros : « Moi, ça y est, j’ai passé cette étape-là et je peux jouer de cette peur. » Et donc, ça met cette peur à distance. Et ça fait que les enfants n’ont pas peur des histoires et… La relecture permet… À chaque fois qu’on relit – mais comme quand on revoit un film plusieurs fois –, on voit des choses nouvelles, on entend des choses nouvelles ou on croit… On pensait avoir compris quelque chose et en réécoutant, on se dit : « Ah ben non, finalement, ce n’est pas tout à fait comme ça. » C’est ça que ça permet, les relectures.

RF : Et ce transfert… On sent qu’ils vivent les choses à travers la fiction, et le transfert dans leur vie réelle, quotidienne, avec leurs émotions au-delà de l’art et de la littérature, il se fait aussi, pour le coup ?

VB : Bien sûr. Parce qu’en fait, ils construisent l’altérité ; ils construisent l’humanité. C’est-à-dire qu’ils se rendent compte que… Quand ils ont peur avec les copains, dans la classe, eh bien, ils se disent : « Ah ben oui, finalement, les autres aussi ont peur. » Quand ils rient tous ensemble, ils se rendent compte que les autres aussi rient. Et donc, dans leur vie quotidienne, ça les aide à comprendre que voilà, tout va bien. Puisque les autres ressentent la même chose, ont les mêmes émotions. Donc, c’est un puissant moteur de développement chez l’enfant, de sa vie affective, de sa vie psychique, de la vie sociale, bien sûr.

HA : Il y a le travail sur les récits, et puis le travail sur le langage en lui-même : comment il exprime le temps, comment il peut exprimer les différentes dimensions du temps, donc la chronologie, la durée, le rythme, etc. C’est aussi un gros travail qu’ont à faire les enseignants de maternelle ?

VB : Oui, ça, c’est un gros travail parce que quand ils arrivent à 3 ans, en petite section, les enfants sont dans le temps présent. C’est-à-dire que le langage accompagne les gestes, les actions, ce qu’ils sont en train de faire. Et quand ils vont quitter la grande section, ils auront construit, grâce aux enseignants de la maternelle, le langage du récit, ce qu’on appelle « langage d’évocation ». C’est-à-dire qu’ils seront capables de parler de ce qui n’est plus, de ce qu’ils ont fait une heure avant, puis la veille, puis une semaine avant, puis un mois avant. Et puis ils vont aussi commencer à être capables de parler de ce qui n’est pas encore. Et donc, c’est ça que permet le langage, c’est de sortir de l’ici et maintenant. Et ça, c’est une immense aventure langagière et intellectuelle – immense.

RF : Et l’aspect recherche-action, donc l’accompagnement des enseignants et enseignantes que vous suivez, concrètement, ça se passe comment ? Vous vous voyez régulièrement, ils vous racontent ce qui se passe en classe ? Vous documentez tout ça ?

VB : Alors, avec une collègue, aussi chercheuse, on est allées voir plusieurs fois les collègues dans leur classe. En fait, le but de la recherche-action, c’est de partir de ce que font les enseignants dans leur classe et essayer avec eux… On débriefe tout de suite après et à nouveau le lendemain. Et on essaie de les amener à parler de ce qu’ils savent faire, de leur professionnalité et donc, de mettre à distance cette professionnalité.

Et puis, en créant un groupe, il y a bien sûr des échanges de pratiques qui se font. C’est-à-dire que les enseignants se rendent compte que : « Tiens, le collègue du village à côté, il ne fait pas tout à fait la même chose et ça a l’air drôlement intéressant. » Et donc, tout le monde bouge, les places bougent sans cesse au cours des recherches-actions. Et ce qui est extraordinaire, c’est qu’au bout d’un moment, nous, les chercheurs, ça nous échappe. C’est-à-dire que les enseignants s’emparent de nos propositions, en les ayant interprétées et en les adaptant à leur classe, et ils font des choses qui nous étonnent nous-mêmes. C’est-à-dire que, voilà, on se dit : « On est arrivé à produire ça ? » Mais c’est eux qui le font, hein, bien sûr.

RF : L’objectif, évidemment, c’est l’enfant. Mais votre œil de chercheuse, il est alors focalisé sur les évolutions professionnelles, sur les gestes professionnels des enseignants. Est-ce que vous leur faites ces retours, aussi ?

VB : Tout le temps.

RF : D’accord.

VB : Tout le temps, oui. On discute beaucoup.

RF : Et ça les nourrit…

VB : Voilà. Et ils disent bien – ils présenteront cette recherche-action demain matin… Ils diront bien… Voilà, les changements professionnels… Et puis surtout, ils vont, je pense, parler beaucoup de la réflexivité, c’est-à-dire le fait que ça rétroagit sur eux, leur pensée – parce que ce sont des intellectuels, les enseignants… Donc ça rétroagit sur leur pensée.

HA : Merci beaucoup, Véronique. Merci d’avoir partagé les résultats, les effets aussi de cette recherche-action avec nous.

VB : Merci à vous.

HA : Nous avons donc parlé du temps de l’enfant, de la classe, et on va peut-être s’inscrire dans un temps plus long qui va être à la fois celui de l’histoire, mais de l’histoire dans une plus grande chronologie : la place de l’enfant dans un temps long, la place dans le monde aussi. Alors, c’est le sens des deux projets dont nous allons maintenant parler avec deux nouvelles invitées. Cécile Grasset, bonjour.

CÉCILE GRASSET : Bonjour.

HA : Donc, vous êtes professeure des écoles, vous avez une classe multiniveau… C’est ça ?

CG : Alors, j’ai une classe de petite section, moyenne section et grande section. J’ai 31 élèves, dans un village qui s’appelle Saint-Martial-de-Valette…

HA : En Dordogne, bien sûr, puisque c’est quand même le point commun d’une grande partie de nos invitées aujourd’hui.

CG : En Dordogne, exactement.

RF : Pensez, Mesdames, à bien parler près du micro. On reçoit aussi Hélène Zavattin. Bonjour.

HÉLÈNE ZAVATTIN : Bonjour.

RF : Alors vous êtes enseignante en maternelle également, évidemment, à… Prigonrieux, près de Bergerac.

HZ : C’est ça, oui [rires].

RF : J’ai réussi à le dire !

HA : Alors, Hélène Zavattin, vous, c’est un projet autour d’eTwinning, peut-être plutôt autour de la place de l’enfant dans le monde…

HZ : C’est ça.

HA : Mais vous allez nous dire aussi quel rapport il peut avoir avec le temps ?

HZ : Eh bien, déjà, c’est un projet sur plusieurs mois. Et puis, ça prépare le futur citoyen de demain. Et donc, voilà, ce sont plusieurs facettes du temps, finalement.

RF : On va échanger autour de vos deux projets. Cécile, vous, c’est un projet autour de l’éducation au développement durable qui semble être finalement partout, dans les programmes, dans toutes les têtes, mais pas forcément pratiquée partout ?

CG : Voilà, tout à fait. On peut vraiment se questionner sur quelles activités mettre en place pour rendre nos petits élèves écoresponsables. Voilà, qu’est-ce qu’on ferait, nous, les enseignants… C’est aussi notre travail de réfléchir à ces situations-là.

HA : Et dans les deux cas, c’est une réflexion aussi sur la relation de cause à effet pour des tout-petits comme ça : comprendre l’impact qu’ils ont sur le monde, la façon dont ils se situent par rapport aux autres. Donc, Hélène, votre projet, dites-nous un petit peu comment il s’est déroulé, ce que vous avez travaillé.

HZ : Alors moi, je souhaitais développer les compétences linguistiques et culturelles, s’ouvrir à l’autre, découvrir d’autres langues. Et je l’ai donc fait à travers un projet eTwinning.

HA : Avec plein, plein de modalités, si j’ai bien compris ? C’est-à-dire à la fois par des rencontres, par différents biais et dans différentes temporalités.

HZ : Complètement. Voilà, c’est pour ça que c’était un projet très intéressant pour travailler sur le temps. Donc, nous avons beaucoup travaillé avec une collègue de Roumanie, avec une classe de Roumanie. Donc, tout ce pan-là du projet était via la plateforme eTwinning. Mais c’est vrai que j’ai aussi élargi à d’autres moyens de communication. Et puis en m’appuyant aussi sur des élèves de la classe. Par exemple, un petit Marocain nous a appris à compter « un, deux, trois » en marocain. Et puis le papa s’est enregistré, on a pu s’appuyer sur son enregistrement. Donc, voilà, c’est aussi une ouverture aux familles.

RF : Cécile, vous, l’aboutissement de votre projet – je vais le dire comme ça –, c’est la protection d’un animal en particulier, qui fait plutôt peur, qui vit la nuit. Comment en êtes-vous arrivée là ? Je donne la fin pour que vous nous expliquiez un peu depuis le début.

CG : Alors voilà, mon projet, c’était d’essayer de faire prendre conscience aux enfants d’abord qu’il y avait une biodiversité animale nocturne, ce qui n’est pas forcément évident pour eux, puisqu’ils ne vivent pas forcément la nuit. Pour eux, la nuit, c’est un monde imaginaire. C’est un monde peuplé de loups-garous – c’est ce qu’ils m’ont dit, ce sont leurs premières conceptions, finalement… De loups-garous, de morts-vivants même. Donc, c’est un peu étonnant. Ils ont des conceptions assez faussées alors qu’ils vivent à la campagne, ils vivent dans un parc naturel régional qui est incroyable. Et donc, mon travail a été d’essayer, déjà, de faire en sorte qu’ils soient conscients de cette biodiversité animale. Donc, évidemment, oui, on a parlé d’animaux comme la chauve-souris – on en parlera à la fin –, mais aussi de renards, de cerfs, etc. Voilà. Donc, ma démarche, en fait, a été une démarche, un peu, d’investigation scientifique, avec différentes phases. Donc, la première phase, c’était la phase de familiarisation autour de la nuit – puisqu’on va parler de la nuit, des animaux de la nuit. Donc : qu’est-ce que c’est que la nuit ? qu’est-ce que c’est le noir ? Et donc, les enfants ont des peurs ancestrales, des peurs de l’obscurité, ce qui est tout à fait logique. Je ne suis pas une grande spécialiste des peurs, mais [le noir] est une peur archaïque que l’on a [tous], voilà. Donc, on a essayé de travailler sur cette peur-là, avant de travailler sur les animaux. Donc, pour travailler sur cette peur, en réalité, j’ai réfléchi à une cabane de la nuit et du noir. Donc, j’ai demandé à mes élèves de chercher dans la classe un lieu qui était très sombre. Et à partir de là, tout est parti en fait, ce sont eux qui ont trouvé toutes les idées. C’est ce que disait Madame Boiron tout à l’heure. J’ai tiré les ficelles de leurs idées et donc, on a construit cette cabane du noir en agrafant des tissus, en peignant… Et dans cette cabane, eh bien, ils allaient jouer, ils allaient lire des livres avec des odeurs, écouter des sons, etc. C’était leur cabane à eux. Donc, pour appréhender le noir. Et ça a fonctionné. Et cet espace est devenu un espace à part entière de ma classe, que j’inscrivais dans mon cahier-journal d’ailleurs, puisque c’était un lieu d’apprentissage. Ça, c’était la première phase de familiarisation et voilà.

HA : Donc, on voit que ce sont des projets qui se déroulent sur des temps assez longs, finalement ? Vous étiez sur l’année toutes les deux ?

HZ : Tout à fait.

CG : Oui.

HA : Et c’est important, ça, pour construire justement… alors, pour grandir, construire ce sentiment d’écoresponsabilité dans un cas, de citoyenneté dans l’autre, que ça se fasse dans la durée, ça a besoin de ce temps-là ?

HZ : Tout à fait, oui, et c’est d’autant plus riche qu’on prend justement le temps, on revient sur ce projet plusieurs fois dans l’année. Ça mûrit. Les choses se construisent lentement… mais sûrement, je rajouterais [rires].

CG : Pour ma part, pour Saint-Marcel, en fait, c’est un projet qui est sur trois ans, en lien avec des partenaires et avec un travail autour des déchets sur la première année. Ensuite, un travail autour de la biodiversité nocturne et ensuite, un travail autour de l’eau. Et toute l’école fait partie de ce projet. Donc, on travaille de la maternelle jusqu’au CM2. C’était important que ce soit dès le départ.

HA : Donc les élèves vont suivre, ce sont les mêmes élèves, finalement…

CG : Voilà, ce sont les mêmes élèves qui participent à ce projet, qui créent ce projet finalement. Et les partenaires avec qui on travaille, le parc naturel régional Périgord-Limousin par exemple, travaillent avec toute l’école.

RF : Hélène Zavattin, j’ai envie de dire le pitch de votre projet – en tout cas, on a vu ça sur la présentation de vos affiches… C’est comment développer la curiosité, la motivation et faire des élèves des citoyens de demain. Mais comment ?

HZ : [rires] En développant évidemment leur curiosité, et la curiosité des autres… Déjà, prendre conscience qu’il existe d’autres langues. Ils n’en ont pas forcément conscience quand ils sont petits. Et prendre plaisir à essayer de répéter d’autres langues… C’est un vrai bonheur dans la classe. Et aussi préparer des outils pour l’autre en tenant compte, justement, de ce barrage de la langue. Et donc, en réfléchissant à d’autres moyens de communication, en s’appuyant sur le visuel, en réfléchissant à l’articulation, au geste… Il y a eu toute une réflexion et donc, la communication non verbale est aussi importante et c’est ça aussi qui est important. Ils prennent conscience, petit à petit, de tout cela, finalement.

RF : Et ce rapport à l’autre qui est loin physiquement…

HZ : Oui.

RF : … qui est décalé dans le temps, pour le moins, parce qu’il y a des échanges audio, vidéo…

HZ : C’est ça, à la fois dans l’espace et dans le temps…

RF : Qu’est-ce que ça change dans l’altérité, [le rapport] à l’autre, et au « maintenant », qui est leurs camarades, en classe ?

HZ : Alors, en fait, le plus grand changement qu’il y a eu dans ma classe, c’est que… Moi, j’avais commencé à travailler la diversité linguistique en début d’année, l’éveil à la diversité linguistique, juste à partir de supports que l’on a dans des bouquins… Et en écoutant d’autres langues, les enfants riaient. Et, petit à petit, ces rires ont disparu et il y a eu une écoute attentive. Voilà, ils essayaient de percevoir des choses, de reconnaître des mots qu’ils avaient déjà entendus… Ils répétaient, enfin, ils jubilaient quand ils pouvaient répéter des mots. Voilà. Et ça, c’est vraiment très important pour moi.

HA : Cécile Grasset, je vais vous poser un peu la même question. Vous vous êtes donné comme objectif de construire, en tout cas de sensibiliser à une écoresponsabilité. Alors, comment en êtes-vous arrivée là ? Comment avez-vous réussi à susciter ça chez des tout-petits ?

CG : Oui, parce que je voulais que ça vienne d’eux, que ça ne vienne pas de moi. Donc, petit à petit, je voulais que cette petite graine qui était semée arrive à pousser toute seule, que les pensées qui étaient fausses au départ, arrivent à devenir de vraies pensées pour être acteurs dans leur parc, être écoresponsables. Donc, en fait, je continue cette phase d’investigation, puisque dans la démarche scientifique, il y a plusieurs phases. Donc, pour prouver aux enfants qu’il y avait vraiment des animaux nocturnes, on a fait appel à un partenaire qui s’appelle le parc naturel régional. Donc, il y a eu des intervenants qui sont venus dans la classe et ces intervenants nous ont montré des vidéos des animaux qu’ils avaient filmés la nuit, par exemple. Donc, les enfants pensaient qu’il y avait des méchants loups qui allaient les manger la nuit. Et finalement là, ils se sont rendu compte qu’il y avait des renards, des genettes – des animaux qu’on ne connaît pas forcément –, qui passaient chez nous, pas loin, des cerfs, etc. Donc là, on commençait à être plus près de la vérité. Donc, ensuite, après avoir fait en sorte de voir qu’ils étaient présents, on a essayé de déterminer leurs besoins avec les intervenants, finalement : qu’est-ce que mange un renard ; un renard, il mange des poules, il mange des souris, il mange des insectes, mais il ne mange pas d’enfants.

HA : Une bonne nouvelle…

CG : Oui [rires] ! Mais pour eux, c’est important de le savoir. Et ensuite, avec le parc, on a travaillé sur ce qui gêne les animaux, ici : qu’est-ce qui les empêche de bien se développer ? Un des intervenants a expliqué aux enfants qu’il allait dans des endroits, dans le parc, chercher les chauves-souris. Donc, avec sa petite lampe, il les cherchait partout. Donc, nous, on a vécu ça en classe. Il nous a fait vivre la recherche et le comptage des chauves-souris dans la classe, avec des fausses petites chauves-souris. Donc, on a compté les chauves-souris… Il leur a expliqué que les chauves-souris, il y en avait de moins en moins, que c’était très compliqué pour elles de vivre parce qu’il y avait beaucoup de lampadaires allumés. Je ne vais pas expliquer tout ça, mais c’est un petit peu plus long… parce qu’il existe une pollution lumineuse, finalement, et si on diminue cette pollution lumineuse, eh bien, les chauves-souris vont mieux pouvoir se développer. Et comme elles peuvent moins nicher, on en est arrivé à construire des nichoirs pour les chauves-souris. Et donc, on devient des préservateurs de la biodiversité nocturne. Ça, c’est un des exemples.

RF : Sur un animal qui fait peur.

CG : Sur un animal qui fait peur. Et d’ailleurs, ça s’atteste avec les dessins. Au départ, les dessins sont des dessins de monstres et, petit à petit, ce sont des vrais dessins de chauve-souris, « classiques » et… voilà.

HA : Alors vous savez – ou vous ne savez pas, peut-être… Mais, souvent, on termine cette émission par un temps d’inspirations. On vous demande quelque chose qui vous a inspirée, quelle que soit sa nature, et que vous auriez envie de partager avec nos auditeurs et auditrices. Alors je commence avec Cécile parce que Cécile, elle était au courant alors qu’Hélène, je ne l’avais pas prévenue, je lui laisse le temps de réfléchir…

CG : Alors moi, il y a énormément de choses qui m’ont inspirée, mais vraiment… Enfin, tout m’a inspirée, j’allais dire… Je voudrais parler, peut-être, d’un outil, en particulier en classe, qui est très utile, je pense, pour toutes les maîtresses de maternelle. C’est ce qu’on appelle « le mur sonore », qu’on trouve chez Easytis – un petit peu de pub, mais c’est vraiment très efficace. Donc, sur ce mur sonore, on peut s’enregistrer, donc enregistrer des voix d’enfants, des animaux, etc. Il sert de support à la pédagogie. Il va dans toutes les pédagogies, donc, c’est vraiment un outil très efficace qui peut servir dans tous les domaines de l’école maternelle et parler du temps qui passe puisque c’est ce que j’ai fait, du coup, dans ma classe. Parce qu’on a parlé du temps avec cet outil-là.

HA : Oui, on en a vu deux exemples. On a vu le vôtre, effectivement, et un autre exemple dans l’agora du congrès où là, les enfants disaient ce qu’ils voulaient faire plus tard, ce qu’ils feraient quand ils seraient grands…

CG : Exactement. Je pense que c’est un outil qui vraiment correspond à cette classe d’âge.

HA : Hélène, est-ce que vous avez une inspiration qui vous vient ?

HZ : À propos du congrès, si j’ai bien compris ?

HA : Ou sur la thématique…

HZ : Alors, parce qu’en fait, moi, je n’ai pas trop eu le temps de circuler. Mais par contre, ce qui m’inspire, ce sont les échanges qu’il y a entre les collègues. J’ai fait des rencontres là, des gens qui ont envie de communiquer sur des thématiques du congrès et de notre métier. Donc, voilà, on s’échange des adresses mails et je trouve ça magique.

HA : Conclusion, venez tous au congrès, c’est un grand temps d’inspiration !

HZ : Oui, tout à fait.

RF : Clairement, on le voit autour de nous. Un grand merci à toutes les deux…

HZ & CG [à l’unisson] : Merci à vous.

RF : … et aux invitées précédentes, qui se sont suivies autour de cette table ronde. Notre temps est écoulé, Hélène ! [rire d’Hélène] Elle est facile, je sais bien… Mais, en forme de conclusion, je crois qu’on ne peut qu’égrainer des espèces de vérités générales sur : il faut prendre le temps, perdre du temps pour en gagner. Tout ça, ce sont finalement, en vous écoutant, des vérités du quotidien pour mieux faire apprendre.

HA : Un très grand merci également à l’Ageem et à sa présidente, Maryse Chrétien, qui nous a très bien accueillis, Régis et moi, et toute l’équipe Extra classe…