Le contexte géopolitique mondial est un espace mouvant, souvent peu prévisible et dans lequel les flux migratoires s’intensifient et changent au gré de l’actualité internationale. L’école française a pour principe d’accueillir les enfants de toute nationalité et de toute langue, quel que soit leur cursus scolaire d’origine, dans des structures appelées UPE2A (Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants).

Olivier Pagani est responsable d’une UPE2A à l’école La Paix de Mons-en-Barœul (59) depuis 2003. Chaque jour, il amène des groupes d’élèves de cycle 3 dans la connaissance et l’apprentissage de la langue française. Comment s’y prend-il avec une telle diversité de profils et de bagages, tant linguistiques que scolaires ? Que retire-t-il de son expérience professionnelle ? C’est ce que nous vous proposons de découvrir dans cet épisode qui vient enrichir notre thématique sur le plurilinguisme et l'enseignement auprès des élèves allophones.

Sur le travail d’Olivier Pagani :


La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée et réalisée par : Aurélie Dulin

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Laurent Gaillard

Secrétaire de rédaction : Aurélien Brault

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2022


Transcription :

Je suis Olivier Pagani. Je suis enseignant en UPE2A [Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants] et réalisateur documentaire. Je travaille à l'est de Lille, sur la ville de Mons-en-Barœul [59], le quartier de Fives (Lille) et la ville d’Hellemmes.

L’UPE2A est un dispositif à destination des élèves primo-arrivants qui sont tous inscrits dans des classes ordinaires et qui viennent une ou deux journées dans leur semaine en regroupement. Je m'occupe de 20 à 25 élèves par semaine en moyenne, sur trois groupes et demi, et entre 30 et 40 parents.

À la création du poste, à Mons-en-Barœul, je ne travaillais qu’avec des demandeurs d'asile. Le poste est lié au fait que l'hôtelF1 de l'époque – qui a été détruit depuis – accueillait des demandeurs d'asile et j'avais quasiment tous mes élèves qui étaient logés dans des chambres d'hôtel. Après, je me suis étendu sur tout le secteur est de Lille. Il y a plein de situations et d'histoires différentes. J'ai des élèves qui peuvent vivre dans des maisons, dans des appartements mais aussi en squat, dans des bidonvilles. Il y a aussi des sortes d'opposés sociologiques dans le poste, c'est-à-dire que la plupart des élèves vont être très très éloignés de l'école quand même. Je pense aux Roms roumains, avec beaucoup d'élèves qui sont NSA [Non scolarisés antérieurement] – et qui sont donc souvent analphabètes en langue d'origine. Et, à l'inverse, des élèves qui viennent de familles binationales ou qui viennent accompagnés d'un parent qui fait des recherches à la fac de Villeneuve-d'Ascq. Je trouve ça intéressant d'avoir un public aussi hétérogène en termes de milieux sociaux, de rapport à l'école et de langue.

J'essaye d'adapter la pédagogie Freinet à ce contexte particulier de petits groupes hétérogènes d'enfants allophones. C'était un point de vue de départ. C'est déjà un parti pris assez fort parce que, après mes études de lettres et de cinéma, j'avais quelques expériences dans l'animation, et l'enfance m'intéressait en général. Mais je n'avais pas forcément de proximité envers le milieu scolaire. Je suis un ancien élève qui s'est beaucoup ennuyé à l'école et j'ai passé le concours en candidat externe en 2002, après avoir lu Freinet. Et ce que j'ai conservé de la pédagogie Freinet, c'est le statut de l'expression personnelle, du tâtonnement expérimental – tâtonner un maximum. Et puis la coopération entre pairs. Quand on parle de coopération en langue orale, ça s'appelle la conversation [rires]. Et en langue écrite, ça peut s’appeler les textes libres ou les phrases du jour, ce genre d’outils, qui sont utilisés dans les classes ordinaires, mais dont je vais faire l'essentiel et le cœur de la pratique. Donc, pour essayer d'avoir des contenus qui soient assez libres, il faut avoir des choses, des situations assez structurées. Je vois ce que je fais comme un artisanat de situations. On va inventer un temps, une organisation de l'espace, un matériel où certaines choses vont pouvoir se passer et vont être prévisibles pour les élèves – mais à l'intérieur desquelles, ensuite, le contenu va être libre.

[Extrait 1 : exercice de lecture pour une élève allophone à partir de son dessin]

« L’ÉLÈVE : Karina…

OLIVIER PAGANI : Danse…

L’ÉLÈVE : Danse…

OLIVIER PAGANI : Dans…

L’ÉLÈVE : Dans…

OLIVIER PAGANI : Le…

L’ÉLÈVE : Le…

OLIVIER PAGANI : Jardin…

L’ÉLÈVE : Jardin… »

[Fin de l’extrait]

Je commence par leur proposer un dessin, tout simplement parce que c'est un geste de communication authentique partagé par tout le monde. Le dessin est parlé, il y a un échange autour et, ensuite, une fois que c'est terminé, on retourne au dessin et là on essaye de donner une phrase au dessin ou plusieurs phrases. Donc c'est vraiment une proposition très simple. Quand le texte est terminé, je demande donc une correction et puis une réécriture. Et ensuite c'est tapé à l'ordinateur, imprimé sur le dessin et enregistré. Et ça va sur le site Internet de la classe qui s'appelle « De Mons au monde » et qui sert de cahier collectif.

Ce que j'apprécie chez les élèves non scolarisés antérieurement d’âge cycle 3, c'est le défi que représente – pour eux et pour moi – leur présence ici. Je sais très bien que l'avancée dans la langue écrite ne sera pas dans la famille ni dans la classe ordinaire. Ça va être essentiellement en UPE2A que ça va se jouer. Et ça crée une responsabilité encore plus importante parce qu’elle est moins partagée.

[Bruit de chaise] Là on est sur le site de « Mons au monde » qui a été créé en 2005 et qui rassemble des éléments produits en classe. Au quotidien, ça sert de présentoir à textes notamment. Il y a aussi des vidéos et pas mal d'autres choses. [Bruit de clic] Si je prends le premier texte de Mario par exemple, qui est un Rom serbe arrivé en septembre 2020 – et qui était dans sa deuxième année de suivi cette année –, ça donne ça :

[Extrait 2 : exercice de lecture pour un élève allophone à partir de son dessin]

« OLIVIER PAGANI : Je suis…

L’ÉLÈVE : Je suis dans la piscine. »

[Fin de l’extrait]

Concrètement, là, l'élève n’a rien dit tout seul. Il ne connaît pas le français, il répète sa phrase, il est en train de commenter le dessin avec mon aide. Et, la production, on voit qu'il y a six lettres en capitale. C'est juste les consonnes, il n'y a pas de segmentation des mots, il sait à quoi sert l'écrit mais il ne sait pas encore s'en servir. C'est un gros producteur de textes. Il a vraiment beaucoup de choses à dire, il investit tout de suite ça. C'est beaucoup de sujets de la vie quotidienne. Ça, ça dépend vraiment des élèves, il y en a qui vont plus partir vers l'imaginaire et d'autres qui vont raconter des choses qui se sont réellement passées. Et puis il a une vie familiale assez riche, avec des fêtes, des sorties. Donc, un an plus tard, il arrive à ce texte-là, je peux mettre un extrait :

[Extrait 3 : exercice de lecture pour un élève allophone à partir de son dessin]

« J'ai envie de partir en vacances en Serbie. Je veux voir mon grand-père et ma mamie. Je vais leur raconter ma vie en France. »

[Fin de l’extrait]

Je trouve ça magnifique de voir des transformations comme ça à l'échelle d'une année scolaire, de désir d'entrer dans l'écrit, des moyens qu'on mobilise progressivement pour se le permettre. Et puis des textes qui deviennent de plus en plus riches, de plus en plus intéressants pour le groupe et qui se traduisent ensuite dans la classe ordinaire par des compétences valorisables au niveau scolaire.

Ce qui me rend assez optimiste dans l'exercice du métier, c'est de voir que le métissage est la règle. Spontanément, il va y avoir une curiosité pour l'autre. Donc on est très très loin des débats qu'on peut entendre sur l'intégration ou les difficultés d'intégration qui seraient culturellement… C'est évident. Il n'y a pas d'a priori culturels construits les uns contre les autres, c'est cumulatif. Là ici, les identités s'additionnent. Déjà, elles sont fragmentaires parce qu’il n’y a aucun élève qui dit : « Bon, moi je suis comme si, comme ça, parce que je suis de telle l'origine et voilà ma culture. » Et rien que le fait de réunir cinq-six nationalités dans un groupe de dix élèves crée un élargissement d'horizons énorme. C'est une expérience très profitable pour eux et très intéressante pour moi.